Avoir le temps de faire son travail


 Trait Direct  - La lettre d’information des cadres de la FSU Emploi

Alors que les charges de travail se multiplient, les agents et particulièrement les encadrants sont de plus en plus confrontés à des plannings dans lesquels les temps contraints ne laissent plus de place à rien. Les réunions, les RDV, les obligations s’enchaînent, et il ne reste plus de temps ni pour les préparer ni pour faire le suivi, et encore moins pour tout simplement échanger entre collègues, partager, se former informellement, apprendre des autres…, bref avoir du temps et notamment du temps interstitiel. 



Le « temps interstitiel » : notion issue de la pratique clinique des hôpitaux, des institutions du travail social et de l’éducation spécialisée : est-ce du travail ou est-ce du temps personnel ? 

On sait qu’il existe, dans la vie d’une équipe des espace-temps ambigus, désignés comme interstitiels et qui font souvent l’objet d’un fort investissement de la part de ses membres alors que, pour l’observateur, ils pourraient être considérés soit comme étant sans importance, soit comme du temps volé au travail. Les espaces interstitiels ont mauvaise presse : c’est du temps perdu. Cela ne supprime évidemment pas les temps formalisés de réunion, d’entretien. 

Mais ces temps interstitiels, ambigus, doivent le rester ! 

A l’ère du travail hybride, dématérialisé, au rythme des réunions TEAMS qui s’enchaînent, ils tendent à se réduire.  Ces interstices ne sont pas des instants où se réalise directement la tâche prescrite par l’institution. Ce sont soit des moments que se garde l’agent pour prendre du recul, soit des instants de rencontre du privé et du métier. Où ?  Dans les couloirs, entre deux portes, entre deux entretiens... 

Les premiers sont de plus en plus rares vu les charges des encadrants. Quant aux seconds, que se passe-t-il réellement au café, entre deux portes ? 

🔴 C’est un temps d’échanges du quotidien comme les vacances, les études des enfants, le week-end. C’est la banalité qui n’est pas dangereuse, qui rassemble les équipes, qui fait l’unanimité. Aujourd’hui alors la pluralité de nos métiers (dominantes, services appui, managers, psychologues) génère de la différence, l’échange de banalités fait collectif, fait groupe, rassemble. L’espace interstitiel fonctionnerait donc comme un espace hors temporalité où les professionnels retrouvent du plaisir à être ensemble malgré les séparations que produit la division du travail. 

🔴 C’est un lieu d’échanges par la parole témoignant d’un travail sur les actes professionnels. « L’ancien » pourra conseiller le « nouveau », des pratiques seront confrontées, des problèmes évoqués, des situations professionnelles racontées, des émotions revécues. Des personnes se parlent alors et non des « techniciens ». C’est dans le plaisir ou l’intérêt à échanger sur des situations difficiles, et cela même dans la banalité, que se construisent des aides réciproques et se renforce le sentiment de former une équipe. 

🔴 Face au « Faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin », qui fait porter aux managers et conseillers une charge dont ils ont besoin de parler, le temps interstitiel agit comme une régulation au fur et à mesure du vécu émotionnel. 

🔴 C’est aussi le pari de l’improbable face à la procédure. L’évaluation est dans le résultat, toujours difficile à prévoir au départ. Ne pas prendre le risque de cet improbable, ne serait-ce pas se comporter comme une machine triviale, c'est-à-dire entièrement programmée, entièrement procédurale, entièrement prévisible? 

 



Management, la chasse à l’interstitiel  ? 

Les formes de management actuel, imposés aux managers de proximité, visent à favoriser les comportements hiérarchiques et procéduraux. Les rencontres intersubjectives programmées peuvent avoir encore une certaine place dans le traitement en groupe, mais sont perçues par les entreprises comme dangereux (la subjectivité est dangereuse). Pourtant, c’est par ces espaces qu’une organisation peut devenir une institution, capable de tolérer l’inestimable et intolérable objet de l’échange. C’est par eux qu’une institution peut continuer à maintenir une saine conflictualité entre le hiérarchique prescrit et le subjectif autorisé, ouvrant une place à ce qui ne doit pas être considéré comme une transgression du cadre, mais plutôt comme une manière de tenir l’ambivalence et la complexité des processus vitaux. 

 

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